En marge des événements actuels en Iran (1)


De tout ce que j’ai pu entendre, depuis 30 ans, au sujet de la révolution islamique en Iran, je n’ai retenu qu’une et une seule phrase sortie un soir de la bouche d’un ami : « Cette révolution a été le fruit de l’association des mollahs et des voyous ! ».

Il y a, dans ce propos, une vérité essentielle sans laquelle il est impossible de comprendre les événements politiques en Iran depuis une dizaine d’années.

En effet, bien avant la disparition du régime du shah d’Iran, pendant la révolution islamique, les mollahs iraniens s’appuyaient déjà sur les voyous des pires quartiers de Téhéran (où prostitution, racket, drogues bref toute les formes de délinquance et de crime étaient monnaie courante) comme leur force de pression.

Les raisons de cette association dépassent le cadre de cet article et nécessiteraient des études à part entière.

Néanmoins, l’association elle-même est un fait indéniable auquel des milliers de gens ont assisté avant, pendant et après la révolution.

Le rôle de ce groupe de pression pendant la révolution a été de s’opposer aux mouvements de gauche considérés comme mécréants. Le « Hezbollah » était alors en train de naître.

Après la révolution, ce groupe a fortement contribué à la création des comités de quartier.

Leur rôle premier était de pourchasser les « contre-révolutionnaires », terme qui désignait principalement les proches du régime du shah. Il s’agissait alors de les rechercher, de les arrêter et de les exécuter.

Un peu plus tard, le régime ne pouvant pas instaurer une dictature au sens propre du terme immédiatement après le renversement du régime du shah, ce groupe s’était vu confier, par l’appareil politique, une autre mission ; celle de réprimer les mouvements d’opposition (principalement de gauche) de manière officieuse et à l’arme blanche.

Ces « en costumes civils », qui existent encore et qui ne sont officiellement attachés à aucune instance publique et qui jouissent, de ce fait, d’une totale liberté d’action, font partie intégrante, depuis 30 ans, de la république islamique et lui ont rendu de bons et loyaux services en ce qui concerne la répression, voire l’élimination, physique des opposants et des manifestants.

A chaque manifestation des mouvements d’opposition, ce groupe de voyous était présent, armé de chaînes métalliques, de couteaux, de « ghamet » (une sorte de sabre très prisé des voyous de Téhéran), de pierres et réprimait les manifestations de manière violente. Il n’y avait encore que très peu d'arrestations à cette époque (les années 79-81) et le mot d’ordre était simplement de brutaliser les « contre-révolutionnaires » car le sens de ce terme s’étendait progressivement aux mouvements d’opposition.

Parallèlement, avec les moyens d’un régime politique en place et, surtout, la guerre contre l’Iraq, l’appareil politique a confié à ces voyous la responsabilité de constituer la branche armée du régime islamique : les gardiens de révolution et le « Bassidj ».

A partir du juin 1982, à savoir la date du décret par Khomeyni du massacre de tous les mouvements d’opposition et plus tard, de tous les mouvements de gauche y compris ceux qui collaboraient avec le régime, ces voyous ont mis en place une nouvelle branche officielle chargée, elle, du renseignement, de la capture, de la torture et de l’exécution des opposants dans les prisons de la république islamique.

Le ministère de renseignement du régime prenait alors forme.

Pendant cet épisode, le plus douloureux de la révolution islamique, des dizaines voire des centaines de milliers de jeunes iraniens, dont une grande partie était encore adolescente, ont connu les pires actes de barbaries du siècle dernier dans les prisons iraniennes pour finalement être exécutés dans les pires conditions d’humiliation que la raison d’un homme normalement constitué ne peut même pas imaginer.

Il est à noter, pour l’anecdote, que les voyous et les hommes de Dieu se déplaçaient partout en Iran pour venir tirer le coup de grâce dans la tête des exécutés car c’était un acte « béni ». Ahmadinejad lui-même a la triste réputation d’avoir tiré mille coups de grâce.

Cet épisode noir a connu son apogée avec le génocide organisé de milliers de prisonniers politiques en 1988 en quelques jours. Ce crime contre l’humanité fut exécuté avec une telle violence que le successeur désigné de Khomeyni à cette époque, Ayatollah Montazeri, n’a pu s’empêcher de s’y opposer ce qui lui a valu d’être écarté du pouvoir depuis cette date.

La mission des voyous a alors été remplie avec succès.

Le pouvoir politique s’en était servi pour arriver à ses fins : l’extermination des opposants.

L’ironie du sort est que le premier ministre de l’époque n'était autre que le " réformateur" qui vient d’être déclaré battu à l’élection présidentielle : Mir Hossein Moussavi ! Interrogé pendant la campagne sur ces actes de barbaries, il n’avait aucune autre explication à fournir que des « mouvements parallèles » qui commettaient ces actes. Or, mouvements parallèles ou pas, il était premier ministre et donc, à ce titre, responsable et coupable de ces actes.

Cependant, mis à part la question de sa responsabilité, l’expression employée est tout à fait révélatrice d’une certaine vérité : le pouvoir politique s’est appuyé sur ces voyous, organisés en groupe de pression, en forces paramilitaires et appareil de renseignements pour se maintenir en place. Autrement dit, ces voyous assoiffés de sang, effectuaient le "sale boulot" dont l’appareil politique avait besoin pour instaurer sa tyrannie théocratique sans être directement impliqué.

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10 ans plus tard, le président Khatami, dit « réformateur », est reçu en grande pompe en France par Jacques Chirac : miracle ! L’Iran islamique s’ouvre.

Les échanges commerciaux entre l’Union Européenne et l’Iran se multiplient, la seule force d’opposition iranienne, structurée et organisée, les Mojahedines du peuple, est mise sur la liste des mouvements terroristes d’abord par l’administration Clinton puis par l’Union Européenne. Cet acte fut le plus beau cadeau que l'occident ait jamais fait à la République Islamique.

C'est pourtant précisément ce mouvement qui dévoile les programmes de recherche nucléaire jusque là inconnus des occidentaux.

Mais, l’occident baigne, de la manière la plus naïve qui soit, dans l’illusion qu’une révolution orange est en marche en Iran.

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Après deux mandats de Khatami, le « conservateur » Ahmadinejad, inconnu de beaucoup, gagne, à la surprise générale, la présidentielle de 2005 et devient le nouveau président de la République Islamique.

Reprenant l’enrichissement de l’uranium que Khatami avait accepté de suspendre et, annonçant, sur un rythme soutenu, manœuvres militaires, essais de missile de longue portée, fabrication d’avions de chasse, et, réclamant la disparition de l’état d’Israël et la mise en cause de l’holocauste, le nouveau président semble surprendre !

Mais que s’est-il passé entre 1988 et 2005 ? Où étaient-ils donc passés ces voyous organisés qui contrôlaient déjà à la fin des années 80 les gardiens de révolution, le « Bassidj » et le ministère des renseignements ?

Comment se fait-il que tant de programmes d’industrie militaire lourde et de recherche nucléaire soient sortis de terre aussi soudainement ? Est-il possible de mettre en place tout cela en quelques jours ?

Bien évidemment non !

Tous ces programmes étaient des projets à long terme qui ne pouvaient se mettre en place que sur, au moins, une décennie.

Et, voilà ce que faisait cette bande entre 1988 et 2005 : elle préméditait, définissait ses objectifs, concevait ses projets et les mettaient en place.

Ils avaient alors besoin, d’une part, de temps et, d’autre part, de la confiance de l’occident pour qu'on ferme les yeux sur certains achats de produits ou de technologies sensibles.

Comment obtenir à la fois ce temps et cette confiance ?

Faire croire qu’une révolution orange est en marche !

Cela peut paraître de la fiction mais j’ai l’intime conviction (à défaut de preuves) que pendant les deux mandats du président dit « modéré », Khatami, l’occident croyait manipuler le régime iranien dans le but de provoquer une métamorphose en douce et de l’intérieur du régime. Or, quand on regarde l’histoire, que cela fût prémédité ou pas d’ailleurs, ce sont en réalité les voyous qui ont manipulé l’occident en lui faisant croire qu’une révolution orange était en marche en Iran. Ils ont ainsi obtenu le temps qui leur était nécessaire et, surtout, la confiance de l’occident sans laquelle leurs programmes sensibles avaient peu de chance de réussir.

Et, cerise sur le gâteau, ils ont créé, par l’intermédiaire de Khatami, de tels intérêts économiques pour l’Union Européenne en Iran qu’aucun embargo sérieux ne pouvait être envisagé sous peine de lourdes pertes économiques pour les industriels européens en tête desquels les allemands et les français.

Enfin, sur le plan militaire, ils se savaient en sécurité étant donné qu’ils contrôlent le canal de transit d’énergie le plus important du monde, le détroit d’Ormuz, par lequel passe 40% du pétrole du monde. En outre, le soutien de deux membres permanents du Conseil de Sécurité de l’ONU, la Russie et la Chine, leur était déjà acquis.

En résumé, pendant presque dix ans, entre 1995 et 2005, cette fraction du régime islamique qui contrôlait toutes les instances armées et de renseignement a bénéficié d’une autoroute (internationale !) sans aucune limitation de vitesse qui ne pouvait mener qu’au pouvoir politique, d’où la sortie aussi soudaine que brutale d’Ahmadinejad !

En 2005, au lendemain de l’élection d’Ahmadinejad, lorsque tous les médias européens saluaient l’arrivée d’un nouveau président élu, l’auteur de cet article avait écrit ces quelques lignes :

« Parler d'élection sous un régime comme celui des mollahs iraniens est une insulte à la démocratie.

La raison en est simple : le terme d'élection est issu d'une longue tradition démocratique. Il est, de fait, chargé de sens et de symboles.

Or, sous un régime politique dont la constitution même est antidémocratique (car elle désigne un guide -religieux- suprême qui n'est pas élu et qui a tous les pouvoirs), parler d'élection –démocratique- n’a aucun sens.


Ce qui vient de se passer en Iran n'est donc pas une élection mais une sélection !! Une personne a été désignée, par ceux qui détiennent véritablement le pouvoir, en tant que nouveau président. Et, on organise tout un spectacle électoral pour lui donner une légitimité. Question de forme…

Quoiqu’il en soit, l’arrivée de ce nouveau président est un message très clair en direction de l’occident : Le régime se met en ordre de bataille en changeant de façade et cesse de jouer le jeu de l’Europe qui lui demandait de conserver au moins la forme… »

Je dois avouer qu’en écrivant ces lignes, en 2005, le signal que le régime lançait à l’occident me paraissait très clair. Mais, je ne comprenais pas encore pourquoi ce signal et pourquoi à ce moment précis.

Selon la lecture des événements de ces dix dernières années telle que présentée précédemment, la réponse à cette question apparaît clairement : leurs projets militaires étaient arrivés à maturité ou n’en étaient plus très loin.

Mais, sur un autre plan, derrières tous ces projets militaires, il y avait et il y a toujours un projet politique, celui de conquérir le monde musulman, de créer un empire musulman. Cet objectif passe nécessairement par la prise du pouvoir politique.

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4 ans plus tard, en 2009, le monde entier, les iraniens en premier, découvre que le régime iranien vient de truquer l’élection présidentielle.

Quelle découverte !!

Dans un pays où, depuis 30 ans, le système politique est exclusivement basé sur le mensonge, le trucage, la manipulation, la corruption et autres tortures, exécutions et actes de barbaries, on est stupéfait de constater que l’élection présidentielle soit truquée !!!

En réalité, ce qui diffère cette fois est que le trucage s’est fait de manière humiliante et provocante. L’appareil militaire et de renseignement qui a le pouvoir en main a voulu humilier l’appareil politique qui est hors jeu depuis 4 ans

Erreur gravissime car ils n’ont pas humilié que les politiques mais aussi le peuple. Or, le peuple iranien est un peuple excessivement fier et l’erreur la plus grave que l’on puisse commettre à son égard est de le mépriser, de l’humilier.

Le débat politique à l’occasion de cette élection a été très suivi et le peuple qui, frappé d’une illusion collective, a cru pouvoir se débarrasser « démocratiquement » de la bande des voyous, s’est rendu massivement aux urnes.

L’annonce des résultats, dans sa forme et dans son fond, témoigne non pas d’un trucage mais de la fabrication de toutes pièces des chiffres annoncés avec un et un seul message : circulez, rien à voir !

Cette humiliation, ce mépris sont insupportables pour ce peuple fier d’où sa réaction vive et immédiate.

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L’Iran vit actuellement un moment décisif de son histoire.

L’appareil militaire et de renseignement qu’Ahmadinejad représente fera tout pour conserver le pouvoir car ils ne sont qu’au début de leur vaste projet sur le plan de la politique international. S’il faut tuer, ils en tueront des dizaines de milliers, ces « Talibans iraniens » l’ont déjà fait et ils le referont sans aucune gêne.

Néanmoins, les événements actuels constituent LE point de rupture entre la jeune génération iranienne qui représente environ les ¾ de la population et le régime islamique. Ce mouvement est le premier véritable face-à-face, avec une réelle revendication civique et démocratique, de toute cette génération, née après la révolution, et la République islamique.

Le prix de la liberté sera très cher à payer. S’ils réussissaient leur entreprise, la République Islamique ne disparaîtrait pas pour autant mais elle ne pourrait que changer très profondément.

L’Iran tournerait alors une page très sombre de son histoire…


16 juin 2009