Voici un entretien intéressant paru sur le site de l'expansion le 20/09/2007.
Sarah Guillou, économiste au département de recherche sur l’innovation et la concurrence de l’OFCE, fait le point sur l'impact de la baisse du dollar sur l'économie française.
Contrairement aux idées reçues, cette baisse génère du pouvoir d'achat alors que son impact sur les exportations reste limité.
Les marchés anticipent une nouvelle baisse des taux d'intérêts américains, quand la BCE ne donne aucun signe d'inflexion. Ce qui mécaniquement fait monter le cours de l'euro face au dollar. Revue des entreprises les plus touchés à l'export avec Sarah Guillou, économiste à l'OFCE.
La monnaie unique a encore amélioré son record face au dollar jeudi, passant le cap symbolique des 1,40 dollar à exactement 1,4077 dollar pour un euro. Les cambistes se sont réfugiés sur la devise européenne au fur et à mesure que le patron de la réserve fédérale américaine s'exprimait face au Congrès à Washington. Et Ben Bernanke a avoué aux parlementaires que les pertes enregistrées suite à la crise du « subprime » ont « dépassé les estimations les plus pessimistes ». Rien de très rassurant. Dès lors, le marché anticipe une probable nouvelle baisse des taux de la Fed. L’euro avait bondi une première fois mardi, après la décision de baisser le loyer de l’argent d’un demi point aux Etats-Unis.
Entretien avec Sarah Guillou, économiste au département de recherche sur l’innovation et la concurrence de l’OFCE.
Quelle est la part des exportations françaises sensible aux effets de change?
Sarah Guillou : Seulement 35% des exportations françaises se font hors de l’Union européenne. Seuls ces 35% sont véritablement impactés par la hausse de l’euro. Encore faut-il retrancher de ces 35% la part des exportations intra-firmes, les échanges entre les entreprises françaises et leurs filiales à l’étranger. Ces échanges sont insensibles aux effets de change et correspondent au tiers de l’ensemble. Ce qui fait qu’en définitive, seulement un quart des exportations françaises est exposé à une variation des taux de change.
Les exportations françaises sont elles particulièrement sensible à une hausse de l’euro ?
Rien n’est avéré sur ce point. On peut seulement le supposer. Il n’y a pas de si grande différence avec l’Allemagne en termes de spécialisation sectorielle ou de positionnement de marché. La France aussi exporte des biens d’équipements. Cependant, on peut penser que la France est moins bien positionnée sur les segments à haute valeur ajoutée et avec un fort contenu technologique. Ce qui peut la rendre plus vulnérable lorsque la compétitivité prix est atteinte.
Quels sont les secteurs et les entreprises qui souffrent le plus ?
Les secteurs et les entreprises les plus touchés sont ceux qui bénéficient le moins de la baisse des coûts importés, comme l’énergie ou les matières premières, qui sont facturées en dollars. Au contraire, toute entreprise qui a une structure de coûts en dollars voit son pouvoir d’achat augmenter. Par définition, les entreprises concernées sont celles qui ont des clients hors zone euro, les plus grandes firmes par exemple.
Les plus exposées sont celles qui n’ont pas su différencier leurs produits en innovant, et qui restent donc fortement tributaires de la compétitivité prix. Si une entreprise innove, elle se place sur un segment de marché où il n’y a plus de concurrence directe. Elle peut donc librement fixer ses prix. C’est la compétitivité hors prix qui permet de supporter une baisse de compétitivité prix, due aux effets de change. Les entreprises peu innovantes sont d’autant plus sensibles à la hausse de l’euro qu’elles ont de faibles marges. Elles ont moins la possibilité de rogner leur marge et doivent répercuter la hausse de l’euro sur leurs prix au risque de perdre des parts de marché.
Mais les entreprises qui n’exportent pas peuvent également être handicapées par les effets de change. Car la force de l’euro, c’est aussi la faiblesse du yuan ou du yen par exemple. Les entreprises de ces zones monétaires bénéficient à l’inverse d’une dépréciation qui leur permet de rentrer sur les marchés de la zone euro et d’y concurrencer ses entreprises.
Faut-il craindre des dommages pour une entreprise comme Airbus ?
Si Airbus souffre de la vigueur de l’euro, c’est parce qu’il est en situation de duopole face à Boeing, une entreprise américaine, qui connaît, elle, une dépréciation de sa monnaie. Mais je pense qu’Airbus peut d’autant mieux se prémunir contre les effets de change que c’est une très grande firme, d’une part. Elle a des moyens financiers très importants qui lui permettent de se couvrir sur les marchés. Et elle peut d’autant mieux le faire qu’elle ne produit que sur commandes, ce qui lui permet d’anticiper son exposition comptable aux risques de change. Airbus gère ce désavantage, en outre, en le reportant sur ses sous-traitant. De ce point de vue, c’est surtout la sous-traitance aéronautique, qui n’a pas ces capacités de couverture, qui souffre de la vigueur de l’euro.